
Qui n’en a jamais fait l’expérience, directement ou indirectement ? Qui n’a jamais entendu parler de harcèlement à l’école, d’ostracisme au travail qui écarte celui ou ceux avec lesquels on ne souhaite plus collaborer ? Qui n’a jamais été tenté de faire porter le chapeau à quelqu’un d’autre ? A désigner ou à identifier un coupable pour ne pas avoir à trop interroger ses vulnérabilités intérieures ? Qui n’a jamais envié ou convoité la place de quelqu’un d’autre au point de l’imiter pour détenir un peu de son pouvoir et le renverser ? Ce mécanisme collectif a été démontré par René Girard, anthropologue politique qui a beaucoup étudié les mythes, la Bible, les cultures et les civilisations. Que dit-il au travers du bouc émissaire dans son très beau livre La violence et le sacré ? Il s’agit d’une théorie du désir selon laquelle la violence mimétique finit par générer une rivalité qui aboutit à la mise à mort réelle ou symbolique d’un membre d’un groupe, d’une société, d’une organisation. Elle dépasse la simple convoitise ou jalousie. Dans l’univers des passions humaines, l’indifférenciation des êtres eux-mêmes active une violence sous-jacente de perte de repères, de rivalités mimétiques. Rien n’est pire que l’uniformisation des hommes entre eux. Le transfert collectif vers un bouc émissaire – l’être sur lequel sera polarisée la violence – fait œuvre d’antidote pour faire advenir à nouveau la paix, si provisoire qu’elle soit. Le mécanisme montre que la violence circule à l’extérieur des êtres, cachant à leurs propres yeux leur violence interne, pour s’abattre sur un seul, permettant de créer l’unanimité… à l’exception d’un seul. Un phénomène apparemment banal mais qui évidemment ne l’est pas. Dans mon livre au titre évocateur Les Emissaires, j’y puise cette maxime : sois-toi-même car personne d’autre ne peut l’être à ta place ». Je nous souhaite de prendre soin de nos désirs singuliers.
©Gabrielle Fourcault
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