Un sixième sens : la voix

Il y a des choses qu’on ne s’explique pas comme des peurs sans raison, des phobies ou des obsessions. La mienne, depuis fort longtemps, est de perdre ma voix. Je ne sais pas d’où cela vient si ce n’est que je ressens souvent une sensibilité ténue dans les cordes vocales. Ainsi, je porte, quasi en toutes saisons, des cols roulés, comme si un tissu sur mon cou pouvait déjouer les mauvais sorts du temps. Au-delà de sa signification métaphorique, ce ressenti m’a toujours incitée à prêter attention aux voix, à la gestuelle qui les accompagne pour accéder à la communication.

La voix, c’est l’incarnation d’une personne. C’est la seule partie du corps qui ne puisse être touchée. Elle est un prolongement de l’être dans ses manifestations avec ses ancrages sociaux, ethniques ou culturels. C’est une lumière interne qui vient identifier la personne que l’on est. Ainsi, par sa vibration si singulière, elle est une marque identitaire à nulle autre comparable. Dans une société de communication où la parole est banalisée, exploitée, voire reproduite par l’Intelligence artificielle, la voix est devenue un bien à sauvegarder absolument pour ne pas se laisser dépouiller de son intimité sensorielle si précieuse dans la relation à l’autre. La voix est un 6e sens, au même titre que les mains qui peuvent la transcrire dans la langue des signes. En cela, elle est un canal unique pour interpréter notre rapport au monde, aux autres et à soi-même. En médecine chinoise, on sait que le cœur est relié à la langue qui se sert de la voix pour moduler les sons. La voix est donc une forme d’écriture de soi dans la relation à l’autre. Elle peut s’enrober d’humour, de joie, d’ironie, de colère, de peur ou encore d’élégance. En cela, elle est un sixième sens.

Helen Keller, autrice du début du XXe siècle, dans son autobiographie Sourde, muette et aveugle, disait ceci : « J’ai ce sentiment que nous portons en chacun de nous le pouvoir de comprendre les impressions et les émotions ressenties par l’humanité depuis l’origine des âges. J’imagine que chaque individu a une mémoire subconsciente du vert des champs, du murmure des eaux, et ni la cécité ni la surdité ne peuvent, je crois, le priver de cet héritage que lui ont transmis les générations du passé. Cette capacité atavique forme une sorte de sixième sens, qui permet de voir, d’entendre et de sentir tout à la fois. »

Je crois que l’usage de la voix, de la langue (orale ou gestuelle) en fait partie. Plus profonde encore, la voix est l’interprète de l’âme, une mécanique subtile du dehors et du dedans qui accueille, tisse le lien et établit la parole.

Cette peur inexpliquée de perdre la voix, me fait prendre conscience d’une chose : ne jamais être sourde à la parole, la mienne comme celle des autres.

Je vous souhaite d’être le maestro ou la diva de votre musique intérieure.

©Gabrielle Fourcault


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